SASSINE Williams


Guinée

Bourse du Centre national du Livre - 1991

Né en 1944 à Kankan et décédé le 9 février 1997 à Conakry en Guinée.

Williams Sassine était ingénieur en Ecologie tropicale et docteur en Mathématiques. Il a dû longtemps s’exiler, notamment en Mauritanie, où il a travaillé comme enseignant, avant de revenir en Guinée où il était chroniqueur et conseiller au Lynx, journal satirique hebdomadaire. Il était également rédacteur en chef du bimensuel d’information, La Guinée-Djama et collaborateur à L’Éducateur, trimestriel pédagogique.

Auteur de romans, nouvelles, chroniques, théâtre… cet esprit libre, à l’humour ravageur, était un grand écrivain.

Parmi les écrivains africains francophones, Williams Sassine est celui chez qui la notion de marginalité colle à la peau. Cette marginalité est avant tout la conséquence de son métissage biologique. Né d’un père libanais et d’une mère guinéenne, Sassine prend vite conscience de son altérité au sein de la société africaine et éprouve de ce fait un profond sentiment de solitude. (Boniface Mongo-Mboussa / Africultures)

Mise à jour 27 janvier 2017 - Photo Patrick Fabre 1995

Publication

Œuvres éditées

Saint-Monsieur Baly, roman, Présence Africaine, 1973, réédité en 1995.
Ce roman que domine la figure admirable d’un vieil instituteur est aussi celui d’un combat et d’une passion : construire et faire fonctionner une école de village.

Wirriyamu , roman, Présence Africaine, 1976.
La destruction par des militaires du village de Wirriyamu dans une colonie portugaise d’Afrique et l’extermination féroce de tous les vieillards, femmes, enfants et bébés qui l’habitent. Ce serait un sujet devenu, hélas, bien rebattu sans le talent exceptionnel de W. Sassine : à la fois par la manière et par la signification profonde, il en fait un grand livre.

Le Jeune homme de sable, roman, Présence Africaine, 1979.
Ce roman est à la fois un cri de révolte, un chant tendre et une parole d’espoir. Révolte des fils contre la trahison des pères, mise en question d’un pouvoir complaisant, révolte contre la violence, la tuerie, l’arbitraire, l’égoïsme cynique d’une minorité de privilégiés. Tendresse immense pour le peuple noir, détenteur en son silence, en son humilité, des vraies richesses du temps, du ciel et de la terre. Espoir, tout de même, en ces mortelles circonstances, espoir en la jeunesse, lumineuse, dure, pure et innombrable comme l’étendue des sables.

L’Alphabète, roman, Présence Africaine, 1982.

Le Zéhéros n’est pas n’importe qui, roman, Présence Africaine, 1985.
Un roman picaresque, débridé et cocasse ; une occasion aussi de découvrir le délabrement politique, économique, social et culturel de la Guinée.

L’Afrique en morceaux, nouvelles, Le bruit des autres, 1994, réédité en 1997.

Légende d’une vérité, théâtre, suivi de Tu Laura, poèmes-fables, Le Bruit des autres, 1995.
L’analogie entre Eve et Mamy Wata, la déesse des eaux de l’Ouest africain, est la symbolique du mythe de la création tel qu’il est vécu par les Dogons, traité ici avec fantaisie et sensualité. »Bernard Magnier

Les Indépendan-tristes, montage de textes réalisé par Jean-Claude Idée, théâtre, Le Bruit des autres, 1997.
En pleine guerre civile, pour échapper au massacre, des hommes et des femmes, qui ne se connaissent pas, débarquent dans une gare, dans l’espoir de prendre un train. Malheureusement il n’y en a plus, on a volé jusqu’aux rails ! La gare est encerclée, les bruits de guerre se rapprochent. Toute fuite est impossible. Débarque Bob Renard, un ancien mercenaire Blanc, qui sera poignardé car il refuse désormais de raconter des histoires aux hommes Noirs. Williams Sassine a laissé sa pièce inachevée. J’ai décidé de poursuivre en prolongeant la situation. Puisque les Blancs ne veulent plus leur dorer la pilule, les Noirs se raconteront des histoires entre eux. Cette partie “restituée” de la pièce emprunte à d’autres œuvres de Sassine (*). Jean-Claude Idée (extraits de la préface)
* Histoires pour la plupart tirées de L’Afrique en morceaux (livre du même auteur, chez le même éditeur, mais épuisé)

Mémoire d’une peau, roman, Présence Africaine, 1998.
Un lundi comme un autre, un albinos naît à la porte des adultes, d’une mère discontinue et d’un père volage, dans un continent improbable. Un être qui porte donc sa fragilité dans l’incertitude même de sa peau et pour qui commence une quête de soi. Mémoire d’une peau, livre posthume du regretté Williams Sassine, est un roman flamboyant, émouvant de vérité, à l’humour désespéré et corrosif, servi par une verve étincelante, somptueuse, poétique. Ce récit, par bien des côtés autobiographique, est le testament d’un écrivain majeur, lucide, et généreux.

À propos de Williams Sassine

Écrire à l’infinitif - La déraison de l’écriture dans les romans de Williams Sassine, de Pius Ngandu Nkashama, L’Harmattan, 2006
Les réflexions présentées dans cet ouvrage ont été inspirées et soutenues par des échanges suscités par Williams Sassine (1944-1997) depuis sa "résidence d’écriture" à Limoges (octobre-novembre 1991). Elles s’appuient sur des œuvres majeures : Saint Monsieur Baly (1973), Wirriyamu (1976), Le jeune homme de sable (1997), Le Zéhéros n’est pas n’importe qui (1985) et Mémoire d’une peau (1998).

Williams Sassine, itinéraire d’un indigné guinéen, par Elisabeth Degon, éditions Karthala, décembre 2016

Autres informations

Williams Sassine et les Francophonies en Limousin

Offrir aux écrivains, l’espace de quelques mois, les conditions les plus propices à l’écriture, loin des contingences matérielles et du tumulte, telle est la vocation de la maison des auteurs. Et l’on sait à quel point cela compte pour les auteurs africains qui ont souvent le plus grand mal à se consacrer à leur œuvre. Williams Sassine, en a peut-être été le plus cruel exemple ; écrivain de l’exil et d’une certaine marginalité, ballotté par les revers de l’existence, il trouva dans la Maison des auteurs (il y résida en 1991) un havre où se ressourcer quelques temps. (Boniface Mongo-Mboussa / Africultures)

1991 - résidence à la Maison des auteurs

1995 - 12e Festival des Francophonies
 Légende d’une vérité, mise en scène de Siba Fassou (Conakry), conseiller à la mise en scène Gill Champagne, programmé à Limoges puis à Abidjan au 3e MASA, 1997, et à Cotonou au FITHEB, 1997.
 Partenariat pour l’édition de Légende d’une vérité avec Le Bruit des autres.
 Il était une fois l’Alphabète (première en France) de Kiridi Bangoura, d’après Williams Sassine, mise en scène de Tam’Sir Niane Bangoura, par O Boulevards d’Afrique, Guinée

1997 - 14e Festival des Francophonies en Limousin, Les Indépendan-tristes, mise en espace de Jean-Claude Idée.

1999 - 16e Festival des Francophonies en Limousin, création de Les Indépendan-tristes, mise en scène de Jean-Claude Idée, par le Magasin d’Ecriture Théâtrale, avec les 7 Koûss, Guinée / Communauté Wallonie-Bruxelles/Sénégal.

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Distinctions

Williams Sassine a été fait Chevalier des Arts et des Lettres en 1983 et Officier des Arts et des Lettres en 1993.

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Liens

RFI : émission "Les Grandes voix de l’Afrique : Williams Sassine : un exil fécond" de Sayouba Traoré" (rediffusion 3 janvier 2017)
http://www.rfi.fr/emission/20170103-sassine-ecrivain-guineen-romans-contes-theatre

Entretien avec Williams Sassine, exil et marginalité, par Landry-Wilfrid Miampika (Africultures, février 1999)

Entr’Actes-SACD

Cultures Sud/Notre Librairie

Africultures (biographie)

Le Bruit des Autres

Présence Africaine

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Article de Jean-Michel Devesa
(extrait de Études, réflexions et spéculations (2), janvier 1997 blog de Jean-Michel Devesa)

Williams Sassine, une conscience malheureuse
Williams Sassine, le métis libano-guinéen, qui a préféré l’exil au régime "progressiste" et ubuesque de Sékou Touré, avait, - pour paraphraser Louis Aragon -, des allures d’étranger en son pays lui-même...
Dans son recueil de nouvelles, L’Afrique en morceaux (1994), l’écrivain a confié cette remarque à l’un de ses personnages : "Un exilé n’a pas d’origine mais des extrémités." De Saint Monsieur Baly (1973) à Le Zéhéros n’est pas n’importe qui (1985), le ton de l’écrivain a naturellement évolué. Williams Sassine a commencé par brosser la peinture satirique d’une Afrique qui a perdu son âme avec la colonisation et qui, depuis les Indépendances, se complait dans l’acculturation. Mais l’amertume a fini par l’emporter et l’univers romanesque de Sassine s’est orienté vers la farce grinçante. Il faut admettre que l’Afrique de Williams Sassine est une Afrique du dérisoire et du grotesque, du sordide et de la fange, des "petits matins“ blêmes et des interminables soirées noyées dans la bière et la moîteur des "maquis“, des "nganda“ et autres débits de boisson. Le malaise social y affleure en gerbes de vomissures et de déjections diverses.
Williams Sassine n’a pas hésité à conclure sa nouvelle Un jour métis sur cet édifiant tableau :
"Une Voix me chuchota : "C’est toi, le Sénégalais ? Tu es en règle ?“ Je lui répondis : "Et toi ?“ "Oui, depuis hier. Moi, c’est normal, je suis une femme. On pourrait se revoir dans quatre jours.“ Je lui caressais une joue mouillée. "C’est à cause des risques du sida,“ ajouta-t-elle. Je l’embrassais. Elle avait les lèvres épaisses et fraîches. "Si tu veux tout de suite, moi je n’ai rien à foutre du sida.“ Nous sommes sortis pour les toilettes. C’était le seul endroit couvert, avec plein de merde et de flaques d’urine, même les mouches n’osaient pas s’y aventurer. Nous avons entendu crier "qui a bu mon pétrole“.“
Cette Afrique d’un mal de vivre radical n’avait cure des bons sentiments et du "politiquement correct“. Dans ses ouvrages, Williams Sassine s’est attaché à la décrire et à l’évoquer comme il la ressentait : en pleine déliquescence, en proie au marasme, sans horizon ni avenir. Cette "pauvre Afrique mystifiée“ (W. Sassine) n’avait rien, ou presque, pour séduire les salons. L’humour ravageur de l’écrivain, parce qu’il touchait au cynisme et procédait en réalité de la "politesse du désespoir“, ne pouvait que heurter les bons Samaritains. Une nouvelle de Sassine commence ainsi : "J’étais assis chez moi à ne rien foutre comme quand on a rien plus à foutre du malheur des autres.“
Sassine est donc resté, pour l’essentiel, à l’écart des grandes messes et des manifestations oecuméniques dont, sous tous les cieux, le monde littéraire est friand. D’ailleurs Sassine n’était pas un homme d’image mais de parole. Conservant vraisemblabement de son enfance cet amour des mots ("L’enfance, c’est la colonne magique de la vie“), Sassine était bien plus à l’aise dans l’univers du conte et de la fabulation que sur un plateau de télévision.
Fidèle à son éditeur, Sassine n’aimait pas solliciter. Il rechignait à demander. Il refusait part ailleurs de se vendre. Nul besoin de l’avoir côtoyé pour l’affirmer, il suffit d’avoir lu ses livres. Sassine était "un homme en Ni“, sans doute comme ce Mamadou Delco qu’il a campé dans une de ses nouvelles et dont la silhouette avait déjà traversé Le Zéhéros n’est pas n’importe qui. Ce Mamadou Delco qui "n’avait plus ni femme, ni enfants, ni domicile, ni amis, ni parents, ni ciel, ni terre“ empruntait probablement beaucoup à l’écrivain. Il en est de même du protagoniste principal du "Zéhéros“, ce "pauvre camara fakoli filamoudou, sans aucun lien secret, aucune attache, aucun port, aucun amour inoubliable, aucune amitié, aucune opinion“ que Sassine a sans doute nourri de ses propres désillusions.